Pierre-Yves Lambert
Suffrage Universel 11/02/2007
En 1994, Dalila Amali et son mari le journaliste Lakhdar Ferrat (1) arrivent en Belgique comme demandeurs d'asile, invoquant des menaces à leur encontre. Mme Amali était menacée par des intégristes car, enseignante, elle refusait de porter le foulard: "Des journaux nationaux rapportaient que des enseignantes avaient été battues à mort par des intégristes dans certains lycées et collèges à Blida. La pression se faisait sentir de jour en jour. Ma fille, en 1994, revenait tous les après-midis en pleurant en me suppliant de mettre le foulard car sa maîtresse lui disait: 'si ta mère refuse de porter la foulerd, elle sera tuée'. Ma fille n'était plus allée à l'école depuis janvier 1994 jusqu'au jour où nous avons dû fuir Blida pour s'installer dans un hôtel à Alger. Quelques mois après, nous avions débarqué en Belgique, qui n'était pas notre destination de départ. ". Rapidement, tous deux obtiennent le statut de réfugiés, et Madame Amali acquiert la nationalité belge en 1998.
Née en 1961 à Blida, Dalila Amali avait enseigné l'histoire et la géographie dans le secondaire inférieur de 1985 à 1994, c'est donc tout naturellement qu'elle suit la scolarité de ses enfants, participe à la vie de leur école et, dès 1995 devient animatrice dans les écoles de la Ville de Bruxelles dans le cadre du projet d’Aide à la réussite, sans pour autant obtenir une rémunération en rapport avec son diplôme algérien, pourtant équivalant à un régendat belge mais jamais reconnu pour des raisons d'ordre administrativo-politique (l'obligation de retourner en Algérie pour la légalisation alors que cela comportait des risques pour elle). En 1999, elle enseigne l'arabe au Centre culturel arabe de Saint-Josse et devient parallèlement membre du Conseil des Bruxellois d’origine étrangère.
Engagée comme secrétaire de cabinet par l’échevin de l’Instruction publique de la Ville de Bruxelles, le socialiste Jean-Baptiste De Cree, c'est tout naturellement que le PS la sollicite pour figurer sur sa liste pour les élections communales d'octobre 2000.
A la suite d'une campagne électorale active, elle est élue à la douzième place sur treize avec 654 voix alors qu'elle ne figurait qu'en trente-deuxième position. Il faut souligner ici que sur 8 candidats d'origine maghrébine, 7 furent élus, dont 3 femmes (2 d'origine algérienne, 1 d'origine marocaine) et 4 hommes (3 d'origine marocaine, 1 d'origine tunisienne).
Son patron l'informe qu'elle ne pourra pas conserver son emploi communal, incompatible avec un mandat politique dans la même commune, elle choisi le mandat "pour ne pas décevoir tous les gens qui ont voté pour moi, envers lesquels j'estimais avoir des responsabilités" et démissionne de son poste de secrétaire de cabinet. "Après coup, j'ai réalisé que ce n'était pas ce qu'on aurait attendu de moi, on m'a fait comprendre que le Président Di Rupo aurait bien voulu voir siéger un avocat d'origine espagnole, Olivier Puebla Prado, bien placé sur la liste mais non élu et qui, si j'avais démissionné, aurait été appelé à siéger".
Dalila Amali n'intègre pas très bien les règles internes imposées par le parti à ses conseillers, et elle n'hésite pas à intervenir à diverses reprises au conseil communal pour poser des questions, mais réalise que celles-ci sont quasiment toujours écartées de l'ordre du jour. Elle s'en ouvre à son ancien patron, toujours échevin, qui lui propose de lire ses projets d'interventions avant qu'elle les introduise, afin de vérifier si elles ne risquent pas de mettre le collège dans l'embarras.
Habitante d'un logement social de la société coopérative (scrl) LO.RE.BRU. dans le quartier de Neder-Over-Hembeek, Mme Amali est par ailleurs élue déléguée de son immeuble et, à ce titre, joue un rôle actif dans le Comité de fêtes qui organise une fête annuelle de quartier.
Ainsi, le 9 juin 2002, la fête est un succès grâce à la participation bénévole de nombreux habitants, dont une grande partie sont d'origine maghrébine. Dès lors, quelle n'est pas la surprise du Comité de fêtes de voir affichée dans les halls d'entrée des immeubles du quartier, en août, une feuille recto verso en couleurs éditée par le président de LO.RE.BRU, le conseiller communal socialiste et président du PS de Bruxelles-Ville Christian Van Der Linden. Surprise parce que, même si les noms des bénévoles ont bien été mentionnés, on n'aperçoit sur les photos que des têtes de "Belgo-Belges".
La réaction des locataires, dont beaucoup n'ont découvert ce "journal" qu'à leur retour de vacances en septembre, est marquée du sceau de la déception et de la colère, "les mois de septembre et octobre, le quartier était en effervescence, les parents voulant réagir par rapport au journal et les jeunes par rapport à la maison de jeunes et ne juraient que par le feu" (extrait d'un courrier de D. Amali à Philippe Moureaux le 22/12/2004, voir scan au bas de l'article).
Le Comité de fêtes décide, après avoir réclamé et attendu en vain une rencontre avec les responsables de LO.RE.BRU., d'écrire une lettre de protestation, qui est envoyée le 27 novembre 2002 à LO.RE.BRU., au bourgmestre (PS), au ministre du Logement (PS), à l'échevin de l'égalité des chances (Agalev) et aux responsables du PS. Enfin reçus, ou plutôt "convoqués", par LO.RE.BRU., les membres du Comité se font taper sur les doigts par le Président Van Der Linden, qui refuse, à une exception près, de donner la parole à sa "camarade" Amali, qui découvre à cette occasion qu'une deuxième feuille, en noir et blanc, est produite par le président alors qu'elle n'a jamais été affichée, seul le recto-verso en couleurs l'ayant été. Bien évidemment, le feuillet supplémentaire inclut des photos jusque-là non publiées et a pour but de délégitimer les accusations du comité.
En février 2003, le conseil d'administration de LO.RE.BRU. envoie une lettre à Dalila Amali la menaçant d'un dépôt de plainte si elle ne se rétracte pas vis-à-vis des accusations mentionnées dans la lettre du comité. Elle refuse, et se voit convoquée par la police en juin, elle dépose alors elle-même plainte contre LO.RE.BRU.
Malgré plusieurs tentatives de compromis amiable par avocats interposés, y compris via le bourgmestre PS Freddy Thielemans et le chef du groupe PS au conseil, Mahfoudh Romdhani, Christian Van Der Linden maintient la plainte, soutenu par son bureau exécutif et son conseil d'administration, pourtant composés d'élus de divers partis et origines.
Le 25 février 2005, Dalila Amali est condamnée pour diffamation en première instance, elle interjette aussitôt appel et, quelques mois plus tard, obtient un premier témoignage (scan au bas de l'article) en sa faveur d'un membre du bureau exécutif de LO.RE.BRU., Mohamed Saïdi M'rabet (passé en juin d'Ecolo, majorité, au FDF, opposition), dans lequel celui-ci se dit notamment "aussi étonné de constater que cette feuille a été ajoutée au journal, alors que l'original que j'avais reçu de LO.RE.BRU. ne contenait qu'une double page recto-verso avec des photos en couleurs", et constate qu'il n'a pas été mis au courant de l'entièreté du dossier par le président et la direction de la société.
Deux mois plus tard, c'est au tour du président du FDF de Bruxelles-Ville, le conseiller communal Alain Nimegeers, membre du conseil d'administration de LO.RE.BRU. depuis 11 ans, de constater (scan au bas de l'article) qu'"à la relecture du document les affirmations de Mme Amali sont fondées quant aux personnes représentées ou non-représentées sur les photos": "il est vrai que par probablement inattention je ne me suis pas rendu compte qu'il manquait dans la forme couleur du document un troisième feuillet".
Lors de la séance du 6 février 2006 du conseil communal de Bruxelles-Ville, une communication est annoncée par le bourgmestre: "Mme Dalila AMALI, Conseillère communale, annonce qu'elle a démissionné du parti P.S.- A partir de ce jour, elle rejoint le groupe MR.". Complètement dégoûtée de l'attitude de ses "camarades" socialistes malgré ses convictions politiques ancrées à gauche, elle a en effet fini par décider de les quitter pour la formation amarante, qui présente un profil de centre-gauche. Un événement qui sera rapporté dans un article plein de contre-vérités par le journaliste du Soir Fabrice Voogt qui n'hésite pas à écrire qu'elle aurait été "condamnée sur base de la Loi Moureaux sur le racisme, pour avoir traité publiquement de « raciste » le président de Lorebru (Logement régional bruxellois), Christian Van der Linden, socialiste lui aussi". Malgré deux mails envoyés par Mme Amali à Voogt, celui-ci a refusé de publier le moindre correctif. Bien plus, il prétend maintenant n'avoir jamais reçu de mail ni de coup de téléphone à ce sujet, et ne se souvient plus de la source de ses informations. Pas de chance, les mails ont été conservés...
Deux semaines plus tard, c'est au tour du conseiller communal PRL Claude Michel de se fendre d'une missive de soutien à Dalila Amali: "le document-reportage qui m'a été adressé en date du 29 août 2002 par le Comité "Fête du 9 juin" sous le titre "Le Coin des Cerises - 9 juin 2002 : la fête du quartier Versailles en images" était bien constitué d'un seul feuillet A4 en quadrichromie, imprimé recto-verso, et présentant, outre divers textes, un ensemble de 6 photos sur la face avant, et de 9 photos au verso". Exit donc le troisième A4 en noir et blanc, qui avait servi de pièce à conviction essentielle lors du procès en première instance.
Candidate en octobre 2006 sur la liste Renouveau Bruxellois, composée de membres du Mouvement Réformateur et du Mouvement Socialiste (dont... son ancien patron désormais ex-PS, Jean-Baptiste De Cree), Dalila Amali n'est pas réélue, n'obtenant cette fois que 200 voix et une place de 19ème suppléante, au terme d'une campagne électorale où elle a vécu sur le terrain les effets de la campagne anti-algérienne menée par certains candidats PS d'origine marocaine dont Mohammed Boukantar:
"J'allais voir des femmes dans des associations avec un jeune d'origine marocaine qui m'aidait pour la campagne, et après il m'a confié qu'il s'était fait reprocher d'"avoir invité chez nous cette Algérienne". Je n'avais jamais ressenti une telle ambiance raciste en raison de mon origine lors de la campagne précédente, ni même dans la vie quotidienne, je n'en revenais pas et j'ai seulement compris ce qui se passait quand des amis d'origine marocaine, honteux et révoltés de l'attitude de certains de leurs compatriotes, m'ont montré des sms appellant à ne pas voter pour les candidats "algériens" afin de défendre la "cause nationale du Sahara". Plusieurs d'entre nous ont particulièrement été visées par cette campagne, moi-même à Bruxelles et Ghezala Cherifi à Saint-Gilles notamment. Alors que nous avons toutes deux été très actives, en tant que citoyennes et en tant que Maghrébines, dans des actions bénévoles en faveur des Marocains, notamment début 2004 avec la CoCaBe (Coordination des Organisations Arabes de soutien à la Palestine) dans la collecte de vivres et de vêtements en favur des victimes du tremblement de terre à Al-Hoceïma."
Aujourd'hui, Dalila Amali est amère, mais elle envisage désormais avec espoir l'audience de la 15ème chambre de la Cour d'Appel mardi 13 février 2007 à 14h dans l'affaire qui l'oppose à LO.RE.BRU. Une audience qui, elle en est sûre, permettra à la vérité d'éclater. Et, même si elle n'ose pas évoquer cette éventualité, qui pourrait bien entraîner des poursuites pour faux et usage de faux à l'encontre de Christian Van Der Linden, toujours président de la section PS de Bruxelles...
(1) Le couple Amali-Ferhat a entretemps divorcé.
Courrier de Dalila Amali à Christian Van Der Linden (10/12/2004) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Courrier de Dalila Amali à Philippe Moureaux (22/12/2004) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Courrier de Mohamed Saïdi M'rabet (25/11/2005) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Courrier d'Alain Nimegeers (18/01/2006) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
Courrier de Claude Michel (21/02/2006) - cliquer sur l'image pour l'agrandir
1 commentaire:
A la suite de cet article, le titre pourrait tout aussi bien être "Amali, une femme dégoûtée par la politique en général". Ce sentiment de "nid de vipères" qui semble surgir de certains partis politiques est assez choquant. De plus, je trouve inadmissible que des élus s'investissent politiquement dans la défense d'interêts extérieurs à leur mandat initial (je fais ici allusion au front Polisario). Car, si c'est pour faire de la propagande anti-Algérienne ou autre, ces individus n'ont pas leur place dans nos communes. Le cordon "sanitaire" doit s'élargir autour de tout les partis qui recrutent des extrêmistes. (voir l'affaire Emir Kir au PS).
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