mercredi, mars 07, 2007

"Les Anges de Satan" étaient de sortie ce mercredi soir

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"Les Anges de Satan" de sortie ce mercredi soir


Par Pierre-Yves Lambert
Envoyé spécial à Marrakech




Rappelons-nous, c'était il y a quatre ans jour pour jour, quatorze jeunes Marocains amateurs de musique hard core et de style gothic étaient condamnés par la justice de leur pays à des peines de prison ferme pour "dégradation des moeurs, incitation à la débauche et actes attentatoires à la religion musulmane". Les "pièces à conviction": "des tee-shirts noirs, un serpent en plâtre, des représentation de têtes de morts, une guitare ou encore un cerveau en latex" ( dépêche Associated Press 07/03/2003). J'écrivais à l'époque "Cette histoire serait simplement ridicule et risible si ces personnes n'avaient pas été condamnées à des peines de prison ferme".

Ce mercredi soir est sorti sur les écrans marocains le film d'Ahmed Boulane, "Les Anges de Satan", inspiré librement de ce fait divers. Je viens de sortir du cinéma Colisée de Marrakech, où une quarantaine de jeunes Marocains l'ont vu pour la séance de 19h. La salle était aux trois quarts vide, mais je n'étais pas à la première séance de 17h30, et la troisième ne commence qu'à 21h30.

Le film nous montre des jeunes, des "fils de bonnes familles" qui partagent la passion du hard rock et le décorum gothique qui l'accompagne. Rien de politique ou de religieux là-dedans, certains étudient, d'autres travaillent, certains glandent. Ils ressemblent comme deux gouttes d'eau à des jeunes du même âge en Belgique, en Suède, en Italie.

Et c'est bien là le problème, aux yeux de certains Marocains, politiciens voulant s'acheter une conduite "musulmane" aux yeux d'un électorat susceptible de voter pour les islamistes du PJD, fonctionnaires voulant plaire aux politiciens précités dès lors qu'ils sont au pouvoir, quitte à "créer" des dossiers de toutes pièces comme ils en avaient l'habitude pendant les "années de plomb", la période de répression brutale et sanglante dont les têtes pensantes et agissantes furent Hassan II et son âme damnée, le ministre de l'Intérieur Driss Basri.

Mais ce dossier-ci ne fut pas seulement créé de toutes pièces par l'appareil policier et judiciaire marocain, chapeauté par le pouvoir non-démocratique ("makhzen") dans un pays où le gouvernement n'est pas issu d'une majorité sortie des urnes et où ce n'est pas le parlement mais le roi qui a le pouvoir effectif. Une fois créé, ce fut la presse de caniveau marocaine, toujours prête à faire sa une de faits divers sanglants, qui a embrayé et brodé en inventant moults détails totalement débiles, dont certains leur avaient probablement été fournis par cet appareil policier et judiciaire passé maître dans la désinformation. Car la liberté de la presse a aussi pour conséquence de faire fleurir des France-Dimanche, des Sun, des Bilt Zeitung marocains à la déontologie inexistante.

Alors, cet épisode peu glorieux de l'histoire judiciaire post-hassanienne en est tout autant un de l'histoire de la presse marocaine, qui compte fort heureusement, à côté de cette sordide presse de caniveau quasi exclusivement arabophone et des organes de partis (L'Opinion, Libération, Al Bayane), des titres sérieux où travaillent de vrais journalistes, Aujourd'hui le Maroc, La Gazette du Maroc, L'Economiste, La Vie économique, Tel Quel, Le Journal, (feu) Demain...

Et en fin de compte, ce sont ces titres sérieux qui ont eu le dessus, avec le comité de soutien. Mais le film montre aussi (fiction ou reflet de la réalité ?) un journaliste qui se fait tabasser pour avoir embrassé la cause des jeunes détenus, et qui écrit au roi depuis son lit d'hôpital pour lui demander que justice soit rendue. En fin de compte, si l'appareil judiciaire et policier avait eu le dernier mot, ces jeunes auraient peut-être une nouvelle fois été condamnés en appel, c'est ce que semble dire le réalisateur: il aura fallu pour obtenir leur libération et le verdict "innocent" de plusieurs d'entre eux un comité de soutien de militants de gauche, eux-mêmes souvent anciens prisonniers politiques, renforcé par des "costumes-cravates" de la "société civile" qui avaient "leurs entrées au Palais". De fait, comme l'écrit la Gazette du Maroc, "rien, absolument rien ne montre que quiconque est à l'abri d'un procès kafkaïen".

Car les fonctionnaires, les policiers, les procureurs et les juges qui ont sévi pendant les années de plomb n'ont certainement pas tous été mis à la retraite d'office au moment de la "libéralisation". Tout comme les magistrats collabos en Belgique ou en France ont continué à "rendre la justice" après la Libération, comme si de rien n'était, comme s'ils n'avaient pas condamné des gens à la prison ou à la mort sous l'Occupation, pour des "crimes" ressortant de la législation pro-nazie.

Je me demande si un cinéaste marocain osera un jour tourner un autre film, relatant un épisode judiciaire chronologiquement proche mais loin des médias nationaux et internationaux et de ceux qui ont "leurs entrées au Palais", cet inique procès d'Imilchil : "Les habitants d'Imilchil ont manifesté pour des motifs hautement révolutionnaires: ils voulaient l'eau courante, l'électricité, la télévision, un hôpital qui fonctionne et une ambulance qui ne refuse pas de transporter les malades impécunieux. Les "agents d'autorité" ont réagi suivant leurs habitudes, identiques sous "M6" et sous le tyran Hassan II, d'abord " nous avons la liste des meneurs vous allez voir...", ensuite les arrestations des dangereux meneurs, des chauffeurs, des bergers, des journaliers, des malades mentaux !" (Suffrage Universel, mars 2003).


le site officiel du film (inaccessible ce soir pour cause de bande passante trop étroite): http://www.lesangesdesatan.com/

La Gazette du Maroc: L'intérêt d'un film comme celui-ci est de reposer la question du débat sur la liberté. Aussi vieux que la pensée humaine, certes, mais sans prétention, entre batteries en furie, chevelures au vent, tatouages, looks gothiques et gorisant, une flopée de bijoux, de têtes de mort et d'attitude de refus.", "le film de Boulane est politique à plus d'un égard. Sans faire de comparaison, on sent en filigrane, les influences irlandaise et britannique des Ken Loach, des Jim Sheridan ou encore Neil Jordan."