dimanche, mars 22, 2009

Réponse d'Albano Cordeiro à Pascal de Lima

LA QUESTION DE LA DITE «DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE» CONCERNE-T-ELLE LES PORTUGAIS DE FRANCE ET LEURS DESCENDANTS?


par Albano Cordeiro


J’ai bien envie de reprendre le thème développé par Pascal de Lima dans un numéro récent de Lusojornal (19 mars), «Tous les blancs ne sont pas égaux entre eux».

L’article traite du manque de représentation, non seulement politique, mais aussi dans des sphères diverses de l’économie et dans l’espace public.

Le titre fait directement référence à une comparaison entre situations vécues par « des blancs» dans la société française. Ce sujet n’est généralement abordé qu’en comparaison de situations vécues par les «blancs», largement sous-entendus comme étant d’abord et avant tout des franco-français descendants de franco-français depuis des générations, et des français et non français, résidents dans l’hexagone, d’origine maghrébine ou afro-subsaharienne, voire des résidents des DOM-TOM n’entrant pas dans la catégorie des franco-français depuis des générations (des blancs incontestablement du cru, quoi).

Plus d’un pourrait s’étonner que, spontanément, l’on ne pense pas que des asiatiques (indiens, pakistanais, chinois) soient concernés. Pourtant ils constituent des minorités et –en plus- ils sont « physiquement» visibles. Le terme de «minorités visibles» est bien que celui qui est utilisé lorsqu’ est abordée la question des différentiels de représentation politique ou économique entre catégories de population, définies adhoc pour aborder cette question.

Le mystère du silence sur la très faible représentation des portugais et leurs descendants à plusieurs niveaux de la société française.

Alors que cette question, en ce qui concerne la population, en particulier jeune, des populations d’origine maghrébine et afro-subsaharienne, voire des DOM-TOM, est depuis déjà de longue date un sujet très médiatisé, rien ne transpire sur la situation que connaissent d’autres populations issues de l’immigration économique. Limitons-nous au cas des portugais.

C’est un vaste sujet. Dans le cas des dites «minorités visibles», la problématique porte souvent – ou presque totalement- sur la société française elle-même et les structures qui gèrent la vie publique (dont les partis). Peut-on transposer la même analyse sur le cas des autres immigrations dont parle Pascal de Lima ?

Il y a un facteur – qui est aussi présent dans les populations classées dans les «minorités visibles» mais … minoré- qui est l’absence ou faiblesse de réseaux à même de soutenir l’insertion dans le marché du travail d’un jeune diplômé issu d’un milieu familial sans instruction ou non-qualifié. Cette origine familiale mène à subir une inégalité de chances par rapport à d’autres socialement « plus élevés ».

Le droit à une insertion professionnelle, et à une progression de statut dans la profession, n’est pas assuré par la société. La distribution des chances d’une « insertion juste » dans la vie active est telle qu’il faut déjà appartenir à des milieux familiaux avec les moyens d’ «acquérir» et de cumuler des chances, pour faire ensuite de «bonnes carrières».

La situation peut être plus grave pour des enfants de l’immigration (la génération née ou grandie dans le pays d’accueil), dans la mesure où la «transplantation» des parents dans un nouveau milieu, dans un environnement nouveau où ils n’ont pas vécu leur jeunesse, leurs réseaux familiaux pénétrant dans la société d’accueil sont relativement faibles et ne «montent» pas assez haut, pour être d’une aide efficace pour l’insertion de la progéniture dans le monde du travail. Et a fortiori dans le monde politique.

Pourquoi la question de la « diversité de la société française » ne s’adresse qu’à une partie de population issue de l’immigration économique.

Dans le vaste argumentaire de dénonciation et d’analyse des causes des discriminations que subissent les dites « minorités visibles », il y a un non-dit. Un non-dit que, tout de même certaines analyses, peu courantes, signalent. La question derrière et qui est occultée, est liée au contentieux de la décolonisation.

C’est la raison principale pour laquelle, les Portugais - malgré qu’ils ont aussi victimes de la faible propension de la société française à reconnaître sa diversité culturelle - ne sont pas concernés.

En simplifiant, nous dirions que, dans cette question, entrent en jeu deux grands acteurs. Un est le post-colonial (né ou pas en France), et l’autre un acteur, aussi abstrait, qui serait la «société française». Du coté de celle-ci, elle a à faire, dans son sein, à des populations autrefois dévalorisées, du fait d’avoir été colonisées, ou ayant subi - dans un passé encore vivant dans les mémoires - l’esclavage. De cela reste la trace dans l’attitude méprisante de certains français, encore aujourd’hui, à l’égard des africains sub-sahariens et des maghrébins, et une « toile de fond » servant de « justification » aux discriminateurs, qu’ils soient des individus ou des institutions (discrimination « systémique»).

Pour beaucoup, qui assument des attitudes et comportement discriminatoires, à cette question vient se greffer une autre : « ces gens-là ont refusé la chance d’être français et maintenant ils sont là, chez nous, et prétendent qu’ils ont droit à tous nos droits.»

Le post-colonial, il a été francisé (comparativement aux portugais, par exemple), il sait plus ou moins décoder le fonctionnement de l’administration (ils-elles l’ont connue au pays). Ils ont des atouts pour comprendre la société française … il pourrait presque se sentir chez lui.

Mais, il sent que l’on lui nie son appartenance à la société dans lequel il vit (il s’agit de société et non pas de «nation»). Il-elle va donc se servir au maximum des contradictions entre l’idéologie française et la réalité sociale (regardez ce que je dis et pas ce que je fais) et ne cessent de brandir la trilogie « liberté-égalité-fraternité ». Ils disent : « vous, Français, vous n’appliquez pas les principes fondamentaux de la République !».

C’est dans ce contexte que le grand débat en France sur la Diversité se place : il s’agît d’obtenir par des mesures symboliques ((au besoin des quotas), une reconnaissance de leur pleine appartenance à la Société Française. Ou encore, pour ceux qui ont été influencés par l’idéologie républicaniste française, l’appartenance à la Nation Française. Pour quoi pas, s’ils en ont envie ?

Tous les blancs ne sont pas égaux entre eux

Lusojornal, Paris, 19/3/09

Chronique d’opinion

Tous les blancs ne sont pas égaux entre eux
■ Pascal de Lima
Professor em Sciences-Po Paris, économista na Altran Financial

On évoque souvent en France, les difficultés que peuvent rencontrer les minorités pour occuper des vraies fonctions politiques à responsabilité.

Ce raisonnement d’apparence limpide, a pourtant tendance à n’inclure que les minorités «visibles» tout en excluant un très grand nombre de Français issus de l’immigration économique mais de type ethnique «caucasien/européen».

Le XXème siècle fut en effet rythmé par diverses vagues d’immigration économique, de provenances toujours plus larges et diverses et dont les populations, indépendamment de leurs origines, durent, faut-il le rappeler, s’intégrer dans la société française. La consternation vient d’une nouvelle forme de discrimination:
Lorsque des associations de minorités mettent en avant leur absence dans les hautes sphères de la politique, elles ne parlent que des «blacks» et des «beurs», éventuellement des femmes ou des homosexuels; mais, pardon, quid des 10 millions de français «caucasien/européen» arrivés sur notre territoire entre 1936 et aujourd’hui
sans parler de la communauté portugaise et luso-descendante qui peut être estimée à 3 millions dans sa globalité???

Et bien c’est très simple: ils sont tout aussi peu présents ou représentés, parfois même tout simplement absents, ce qui est le cas de la communauté portugaise et lusodescendante pour prendre un exemple. Les associations de lusodescendants ou même encore d’Européens de l’Est venus s’installer dans la foulée de l’élargissement de
l’Europe ne sont pas considérées comme des partenaires crédibles pour la construction d’un projet politique et, si vous proposez un tel programme à l’un des grands partis nationaux, votre projet sera reçu avec mépris, ou si vous avez de la chance, humour.

Certains, dans la foulée de ces déclarations, seraient tentés de brandir haut et fort le drapeau du communautarisme, mais lequel, de quoi parle t-on? Qui applique le mieux ce raisonnement communautariste?

Les minorités non visibles, incapables d’obtenir des places éligibles sur les listes électorales des plus grands hémicycles de la république française? Ou bien ces français, issus de la bourgeoisie, ayant suivi les bons cursus, formatés jusqu’à 18 ans et qui continuent à se partager les postes comme au bon vieux temps de Deferre. Une solution à cela: présentez-vous dans les petites communes. C’est plus discret.
Ne sont ils pas là, la connivence et le socio-népotisme?

La France a changé: sa population est moins homogène, mieux éduquée mieux informée. Les canaux de dissémination de l’information se sont démultipliés et déclinés formant des réseaux complexes. Est-il normal de continuer à gouverner de la même façon, c'est-à-dire en brandissant haut et fort les sirènes de la discrimination par un bout de la lorgnette alors que la partie invisible de l’iceberg est le résultat de la grande machine à discriminer?