Édito
Nouvel Edit de Nantes ?
La Libre Belgique Mis en ligne le 23/06/2009
En 1999, en Turquie, une élue du "Parti de la vertu", parti islamiste, prétend pénétrer au Parlement en portant le voile. Elle sera déchue de son mandat. La Turquie est le seul pays musulman à avoir organisé la séparation de la religion et de l’Etat, l’héritage de Mustafa Kemal Atatürk.
Faut-il, à Bruxelles, en 2009, se montrer moins sévère que la Turquie à l’égard des élu(e)s qui entendent afficher dans l’hémicycle des signes distinctifs quant à leurs opinions religieuses ?
Bruxelles n’est pas Ankara. Et nos traditions démocratiques ne sont pas celles de la Turquie. Pas plus que celles de l’Arabie Saoudite ou de l’Iran, pays qui appliquent, avec une rigueur qui exclut toute tolérance à l’égard de ceux qui ne partagent pas leurs convictions, la "charia", qui codifie à la fois les aspects publics et privés de la vie d’un musulman. Sous des modes différents, des espèces de régimes de droit divin, comme l’Europe en a connu jusqu’à la Révolution française.
Précisément, depuis deux siècles, les Etats occidentaux séparent, à juste titre, le pouvoir spirituel du pouvoir temporel. Et garantissent aussi, parallèlement, la liberté d’expression, y compris religieuse et laïque.
Et c’est parce que ces valeurs démocratiques sont fortes qu’il ne faut pas craindre que, dans l’enceinte parlementaire, ou peuvent et doivent s’exprimer librement toutes les opinions, y compris religieuses ou laïques, une députée affiche son appartenance.
Le contraire serait comme une révocation de l’Edit de Nantes !
3 QUESTIONS À Francis Delperée
C.Le
La Libre Belgique Mis en ligne le 23/06/2009
Sénateur CDH et constitutionnaliste
Y a-t-il une objection juridique à ce qu'une députée voilée prête serment ?
Je renverrai directement à la Constitution ! C’est elle qui fixe les conditions générales d’éligibilité et pour ce qui est de la Région de Bruxelles-Capitale, il y a des dispositions complémentaires dans une loi ad hoc. Je vois mal certains mandataires y introduire de nouvelles conditions. L’électeur a en effet choisi en fonction de ses options politiques, philosophiques ou religieuses qui s’inscrivent dans le cadre de nos libertés publiques. Cela dit, on ne peut comparer la situation des élus avec celle des fonctionnaires qui sont en contact avec le public qui doivent eux s’abstenir d’afficher leurs convictions.
Depuis la création de la Belgique, l'on a vu siéger des clercs en soutane.
Oui, si vous examinez les tableaux sur les prestations de serment royales au Parlement, vous remarquez leur présence. Des prêtres voire des religieux d’ailleurs qui ont participé activement aux travaux sans troubler personne.
Mais ne peut-on s'y opposer au nom de la laïcité de l'Etat ?
Là je renvoie à l’article 1er de la Constitution de la République française. Que dit-il ? Que la République est de fait laïque mais depuis la révolution, il ne fut pas rare de voir siéger des clercs en habits religieux. Et non des moindres comme l’abbé Emmanuel Joseph Sieyès, un des grands constitutionnalistes de l’époque que l’on identifie aisément dans les tableaux sur le Serment du Jeu de Paume dont il fut aussi un grand acteur. Plus près de nous, aucun responsable de l’Assemblée nationale française n’aurait eu l’outrecuidance d’exclure l’abbé Pierre de la Chambre française lorsqu’il y avait été élu
3 QUESTIONS À Bernard Clerfayt
An.H.
La Libre Belgique Mis en ligne le 23/06/2009
MR, bourgmestre empêché de Schaerbeek
Cela vous dérange de voir une députée voilée prêter serment ?
Non, de la même manière que cela ne m’a pas dérangé d’avoir une conseillère communale voilée. On a déjà eu le débat il y a 3 ans à Schaerbeek.
Quelle a été alors votre attitude ?
Dans une fonction de représentation du peuple, chacun le fait avec ses opinions. Le voile est un élément quelconque que chacun peut porter : il n’y a pas de restriction à la liberté qui doit exister à cet égard. En revanche, il y a restriction dans un nombre très limité de fonctions publiques comme enseignant, policier, guichetier à la commune Cela doit aussi être le cas dans les fonctions politiques de représentation de la collectivité, où il y a une obligation de respect de la multiplicité des opinions, des religions, des choix philosophiques Comme bourgmestre, je ne dois pas porter des signes indiquant que je ne serais que le bourgmestre de certains et pas des autres. C’est aussi vrai pour le président du Parlement.
Ne mène-t-on pas, le cas échéant, un faux débat ?
A Schaerbeek, Mahinur Özdemir porte son voile par choix personnel : on ne peut pas fantasmer sur une espèce de pression sociale du milieu ! Pour la connaître, je n’ai pas le souvenir qu’elle ait pris des positions inspirées par un prosélytisme musulman au conseil communal. Je peux même dire que j’ai entendu plus d’interventions d’autres élus masculins d’origine musulmane qui, sans porter de signes distinctifs, montraient dans leur ton une conception plus musulmane des choses qu’elle ! Elle est musulmane dans sa vie personnelle mais cela ne déborde pas dans le champ politique.
elections 09
Mahinur ne se dévoilera pas
Christian Laporte
La Libre Belgique Mis en ligne le 23/06/2009
Samedi, Denis Ducarme, député fédéral MR, annonçait laconiquement qu’il allait déposer une demande de modification du règlement de la Chambre afin d’interdire aux député(e)s d’arborer tout signe religieux ou philosophique.
Le propos n’était point innocent à trois jours de l’installation ce mardi des nouvelles assemblées régionales qui pourraient être tentées d’en faire de même. Plus particulièrement à Bruxelles où, on le sait, une élue du CDH, Mahinur Özdemir, d’origine turque, a décidé de siéger avec son voile.
La question a fait débat lundi à la fois dans les partis politiques mais aussi dans les associations représentant la société civile.
Un constat : la proposition de Denis Ducarme - voir aussi pages 54 et 55 - a fait long feu puisqu’elle n’a même pas recueilli une adhésion unanime au sein de son propre parti, le MR. Mais les réformateurs n’en plaident pas moins pour un débat sur la question "de préférence au bureau de l’assemblée concernée", a estimé Françoise Bertieaux, "car il faut mettre des limites, des balises qui soient le s mêmes pour tous". Avant d’ajouter qu’a priori, elle ne voit pas d’objection à ce qu’une femme siège avec son hijab au Parlement. Toujours dans les rangs réformateurs, le FDF Didier Gosuin est monté au front en s’en prenant au CDH : "Il n’est pas question de stigmatiser l’attitude d’une personne, en l’occurrence Mme Mahinur Özdemir, ni d’une catégorie de personnes. Par contre, son parti porte une grande responsabilité dans la réintroduction du poids du religieux au Parlement. Si par essence, le Parlement n’est pas un lieu de neutralité politique, le CDH semble prêt à y réintroduire la carte du spirituel, revenant 40 ans en arrière lors que le religieux exerçait une influence sur le politique."
Un point de vue qui n’a pas vraiment été suivi dans les autres partis, notamment dans ceux qui négocient des Oliviers tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Joëlle Milquet a ainsi demandé que "la réserve soit de mise pour éviter tout propos qui pourrait être ressenti comme discriminatoire ou vexatoire pour une partie de notre population". Les Ecolos bruxellois ont de leur côté déploré "l’instrumentalisation polémique du MR" à l’occasion de la prestation de serment alors qu’au nom du PS bruxellois, Rudy Vervoort, chef de file du groupe parlementaire, notait que "le fait de porter le voile relève de la liberté individuelle de la jeune élue. C’eût été différent si elle avait été nommée ministre ou si elle accédait à la magistrature".
La polémique serait-elle donc close ? Une certitude: ce mardi la présidente provisoire et doyenne d’âge de l’assemblée, Antoinette Spaak, mettra tout en oeuvre pour qu’elle ne redémarre pas ! "J’ai mes convictions et je suis de ceux qui pensent qu’il faut ouvrir un large débat sur la question, mais en tant que présidente de séance de l’installation du Parlement, je mettrai tout en oeuvre pour que mon assesseur, Mahinur Özde mir, puisse siéger normalement !" Un réflexe féminin ? La séance inaugurale sera prise en main par les "filles d’Eve" puisque le bureau provisoire comprendra encore la députée Open VLD Els Ampe.
En tout état de cause, le Parlement bruxellois issu du scrutin du 7 juin devrait donc installer ses 89 membres en se tenant à une "neutralité inclusive" pour paraphraser le commentaire d’Edouard Delruelle, le président du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme
http://blogs.politique.eu.org/
En prenant connaissance des intentions des parlementaires MR Philippe Pivin et Denis Ducarme, ma réaction spontanée fut d’évoquer deux chansons que j’affectionne. L’une de Jacques Brel : "Salut à toi Dame Bêtise, toi dont le règne est méconnu !" et l’autre de Georges Brassens : " Le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est c... on est c...".
Ainsi donc voilà deux élus se prétendant libre-exaministes qui lancent une croisade au nom d’une approche idéologique.Quelle contradiction ! Espèrent-ils susciter ainsi une plus grande adhésion aux principes de laïcité de l’Etat ?
Voilà les nouveaux inquisiteurs qui voudraient empêcher une élue du peuple de siéger parce qu’elle n’a pas les mêmes idées philosophiques qu’eux. Je suis consterné et inquiet, moi qui croyait que la laïcité consistait notamment à lutter contre ses préjugés.
Si je trouve dommage que cette élue de ma commune cache son sourire et son dynamisme sous un voile, je n’ai cependant qu’une seule chose à faire c’est de la respecter, même si je ne voterai jamais non plus pour elle. Si un jour elle devait quitter l’approche démocratique qui est la sienne aujourd’hui, je n’aurai qu’une seule chose à faire : la combattre, par l’argumentation et le débat politique. Comme il sied en démocratie.
Peut-on encore espérer que de vrais libéraux fassent s’arrêter cette entreprise réactionnaire ?
Jean-Paul Gailly
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