Pierre-Yves Lambert
07/02/2007
C'est seulement ce mardi 6 janvier, soit dix semaines après les élections législatives du 22/11/2006, qu'a été finalisé l'accord de coalition entre chrétiens-démocrates du CDA, travaillistes du PvdA et christianistes modérés de ChristenUnie (CU), formant ainsi une majorité de 80 sièges sur 150 à la Chambre des députés. Sur 16 ministres, il y en aura 8 du CDA, 6 du PvdA et 2 de la CU, plus environ dix secrétaires d'Etat. Il semble d'ores et déjà acquis que les leaders du PvdA et de la CU, Wouter Bos et André Rouvoet, deviendront chacun vice-premiers ministres dans le gouvernement Balkenende IV, puisque c'est bien le leader démocrate-chrétien qui rempilera à la tête du gouvernement. Le président du parti travailliste, Michiel van Hulten, a quant à lui déjà déclaré que la direction du PvdA souhaite confier la moitié de ses portefeuilles à des femmes, et que les négociateurs travaillistes feront pression sur leurs homologues CDA et CU pour qu'ils s'efforcent d'aller dans ce sens.
Contrairement à ce qui s'était passé sous le gouvernement sortant de centre-droit, les portefeuilles de la politique des étrangers (demandeurs d'asile, regroupement familial) et de l'intégration ne seront plus gérés par un même ministre, un poste occupé de mai 2003 à décembre 2006 par Rita Verdonk (du parti libéral de droite VVD), la "dame de fer". Le premier portefeuille redeviendra de la compétence d'un simple secrétaire d'Etat sous l'autorité du ministre de la Justice, le second sera joint à celui du logement pour être confié à l'actuel échevin PvdA d'Amsterdam, Ahmed Aboutaleb, qui deviendra ainsi le premier ministre néerlandais d'origine marocaine.
Pour rappel, il y avait déjà eu le 22 juillet 2002, l'espace de quelques heures, une secrétaire d'Etat aux affaires sociales et à l'emploi d'origine afro-surinamienne ("créole"), Philomena Bijlhout, députée élue sur la Liste Pim Fortuyn (LPF), sa présence au sein du gouvernement de droite n'avait pas survécu à des révélations sur son passé de membre d'une sanglante milice pro-gouvernementale pendant la dictature au Surinam. De septembre 2002 à mai 2003, son poste gouvernemental fut occupé par un physiothérapeute et acupuncteur d'origine chinoise, Khee Liang Phoa (LPF), qui n'occupait précédemment aucun poste électif, et qui s'est installé après sa brève carrière politique à... Pékin où, après avoir étudié le chinois de 2004 à 2005 il travaille dans une agence de fret.
La ministre sortante de la politique des étrangers et de l'intégration, Rita Verdonk, n'était membre du parti libéral VVD que depuis un an quand elle fut nommée à son poste en mai 2003. Avant cela, cette docteur en sociologie et en criminologie qui avait milité à l'extrême-gauche ( Parti socialiste pacifiste) pendant ses études, avait occupé pendant quatre ans des postes de cadre supérieure dans le privé, mais elle a passé la plus importante partie de sa carrière, de 1983 à 1999, à diverses hautes fonctions au sein du ministère de la Justice, notamment comme directrice de prison de 1983 à 1992 et comme directrice de la Sûreté de l'Etat (DST) de 1996 à 1999. Elle a marqué d'une empreinte très dure son passage au gouvernement, incarnant une ligne politique de fermeture des frontières à toute immigration, fixant par exemple des exigences plus élevées pour le regroupement familial, qui est souvent synonyme de marches arrières permanentes de l'intégration sociale et économique, mais aussi prônant fanatiquement l'expulsion des candidats réfugiés homosexuels ou convertis au christianisme vers l'Iran, considéré comme "sûr" pour ces personnes !
Ahmed Aboutaleb, photo: Claudia Dohm (libre de droits pour usage non-commercial avec mention de la source)
Le futur ministre travailliste du logement et de l'intégration, Ahmed Aboutaleb, est né en 1961 à Beni Sidel, un village de la région du Rif au Maroc, et n'a immigré aux Pays-Bas avec sa mère et ses frères qu'en 1976. Après des études d' ingénieur industriel en télécommunications, il a travaillé comme reporter pour des radios privée (Veronica) et publique (NOS), puis pour le journal télévisé de RTL-Nederland, et enfin comme personne de contact pour la presse auprès du ministère de l'aide sociale, de la santé et de la culture.
En 1998, il devient directeur de Forum (Institut pour le développement multiculturel), l'organisation qui succède au Centre néerlandais des étrangers, et par la suite il travaille comme haut fonctionnaire de la municipalité d'Amsterdam, au poste de directeur du développement sociétal, économique et culturel. Alors qu'il ne s'était jamais présenté aux élections, bien que membre du PvdA, il devient à mi-mandat, en janvier 2004, échevin (adjoint au maire) travailliste en charge de l'enseignement, de la jeunesse, du travail, des revenus et de la politique des grandes villes d' Amsterdam, une commune de plus de 740.000 habitants dont 34,2% d' allochtones non européens (pour une moyenne néerlandaise de 10,4%).
Il s'est particulièrement distingué comme la personnalité politique néerlandaise d'origine marocaine la plus médiatique mais aussi la plus active sur le terrain, que ce soit pour apaiser les esprits et favoriser le rapprochement intercommunautaire après l'assassinat de Theo Van Gogh en novembre 2002, ou plus concrètement en imposant une politique de " carte scolaire" (Postcodebeleid) à la française pour obliger les parents à mettre leurs enfants dans l'école de leur quartier.
Lors de sa première candidature à une élection, aux municipales de mars 2006, il a obtenu 46.217 voix depuis la deuxième place de la liste travailliste, devançant ainsi la tête de liste Lodewijk Asscher qui n'a recueilli "que" 35.224 voix. Il a conservé son échevinat au sein de la nouvelle majorité municipale travailliste- verte. Contrairement à ce qui se serait passé en Belgique par exemple, où le cumul entre fonctions exécutives locales et mandat parlementaire est très courant, l'importance du poste municipal d'Ahmed Aboutaleb l'a empêché d'être candidat aux législatives de novembre 2006, mais par contre son bilan municipal très positif va donc selon toute probabilité le propulser au sein du gouvernement.
[© Reproduction autorisée avec mention obligatoire de la source]
N.B. les liens vers les articles de wikipedia en français, anglais ou néerlandais sont purement indicatifs, ils sont dirigés vers les versions de ces articles au moment où je les ai consultés ("permalink"); ces articles ne constituent en aucune façon des sources suffisamment fiables et complètes en tant que tels, ils doivent nécessairement être confrontés à d'autres sources afin d'obtenir des informations tendant vers plus de fiabilité et d'exhaustivité; le présent article ne constitue qu'une brève contribution introductive et informative en prévision d'un événement politique imminent
6 commentaires:
C'est quoi un "christianiste modéré" ???
C'est comme un islamiste modéré, l'appellation utilisée pour l'AKP d'Erdogan. Il y a aussi un parti christianiste plus hard au parlement néerlandais, parfois en coalition municipale avec des grands partis, le SGP. Mais aux élections européennes et dans certaines communes, ils présentent des listes communes, ce qui indique tout de même qu'ils ont quand même pas mal d'idées en commun. La ChristenUnie est socialement à gauche, éthiquement à droite. Elle fait partie de l'European Christian Political Movement. Ce ne sont clairement pas des "démocrates-chrétiens", mais des partis confessionnels. Les membres belges de l'ECPM sont le CDF côté francophone et C'axent côté flamand.
Tu es en train d'essayer de lancer l'expression ? ;-)
Sinon, je me demande pourquoi on qualifie le parti d'Erdogan d' "islamiste" et non de "musulman". Ca me parait d'autant plus curieux que c'est certainement ce gouvernement qui a le plus fait pour que la Turquie évolue dans le bon sens et qu'il mériterait des qualificatifs autrement plus flatteurs.
Du coup je me demande si je ne voterai pas CDF aux prochaines élections tiens.
Maintenant que Souad Razzouk (ex-FDF et bientôt PS) a gedemaskeerd Milquet, tu pourrais même voter CDH, la nouvelle filiale de l'AKP turc et du PJD marocain: "J'aime beaucoup le côté humaniste du CDH, mais il est devenu le CDR, avec un R comme religieux : ils n'ont pas mis l'Eglise de côté, ils ont juste rajouté la mosquée" :-)
Si elle pouvait, Jowelle ajouterait volontiers la loge et la synagogue en prime. Sinon j'adore ces grrrrrrands politiciens qui font mine de découvrir que leur parti d'accueil a un programme qui ne se résume pas à leur petite personne et se la jouent Test Achats lorsqu'ils se décident - la mort dans l'âme, n'en doutons pas - à retourner leur veste. Gageons que ce transfert sera recompensé comme il se doit, le boulevard de l'Empereur sait se montrer généreux.
"A quel point la ChristenUnie est-elle chrétienne ?" s’interroge Hans Wansink en page d’opinion du Volkskrant. "Le programme de la ChristenUnie est loin d’être dogmatique dans le domaine de la Vie et de la Mort. Les catholiques et les musulmans sont les bienvenus au parti, qui considère officiellement la grand-messe comme une ’maudite idolâtrie’. La ChristenUnie n’est donc pas un parti confessionnel, et encore moins un parti fondamentaliste. La Bible n’est qu’une source d’inspiration. La séparation de l’Eglise et de l’Etat n’est pas en cause pour Rouvoet et ses collègues."
"Rouvoet fait de la ChristenUnie un parti de gauche. Il est plus proche de Bos que de Balkenende. On verra aux prochaines élections provinciales si c’est aussi le cas de sa base."
source: Presse néerlandaise du mardi 13 février 2007
Enregistrer un commentaire